Là où l'âme du monde vibre, je ne suis pas. J'ai toujours eu ce sentiment, profondément ancré, d'être étrangère au monde, de ne pas y appartenir.
Lorsque j'ai souhaité partager les malheurs, les joies et les tracas d'autrui, je n'ai éprouvé que lassitude, indifférence et mépris. Je ne me suis jamais impliquée dans les affaires d'ici-bas, et surtout, j'ai toujours eu la volonté féroce de ne jamais me laisser impliquer dans ces histoires, que je qualifierais de bas étage, dans ces riens qui font la vie.
C'est ce sentiment, à la fois angoissant et grisant, de n'avoir rien de commun avec cette vie qui m'a dicté ma conduite meurtrière, alors qu'un nouvel été de ténèbres se préparait au ciel, où le soleil aiguisait ses rayons tranchants. Au creux du ventre, je sentais une vie : je l'ai détestée alors pour me donner l'hiver une seconde fois. Il me fallait en finir une fois pour toutes avec elle. Je les ai laissés me déchirer le ventre, tu es sorti sans bruit, sans heurt, juste le sang et l'immense désir d'avoir pu en finir, moi aussi, avant même de savoir crier.
Chair, tendre et disparue, je connais les cris de douleur des âmes perdues : ce sont les cris de joie des enfants avortés. Toi à qui je n'ai su donner que la mort, sauras-tu à ton tour me prendre la vie ? Sur ta stèle de marbre je n'ai rien inscrit : je n'ai de mots que pour la douleur ; toi, tu étais la vie. Petit être de ténèbres, mon amour, mon enfer, désormais nous célébrerons la mort en juin.